Anuario de Estudios Medievales 54 (2)
ISSN-L: 0066-5061, eISSN: 1988-4230
https://doi.org/10.3989/aem.2024.54.2.1505

Julia Conesa Soriano, Entre l’Église et la ville, pouvoirs et réseaux des chanoines de Barcelone (1472-1516), Madrid, Casa de Velázquez, 2020, 347 pp. ISBN 978-84-9096-307-4.

 

Le bel ouvrage de Julia Conesa Soriano, issu du remaniement de sa thèse, apporte un regard novateur sur l’histoire des chanoines de Barcelone grâce à une importante masse documentaire et une bibliographie excellemment maîtrisée. Ce livre, qui allie histoire des chapitres cathédraux et histoire urbaine, est amené à faire date dans l’historiographie car il dépasse la dimension monographique de ces deux genres. En effet l’auteure étudie les hommes et le chapitre en établissant des connexions entre l’Église et les pouvoirs laïcs, mais aussi le monde canonial et la société urbaine. Les repères temporels choisis (1472-1516) correspondant à la fin de la guerre civile permettent d’analyser les différentes formes de pouvoirs à un moment de remaniement.

La première partie invite à découvrir l’organisation et le fonctionnement du chapitre qui est un acteur de la vie urbaine. Le point saillant est l’absence des évêques barcelonais, souvent des personnages d’envergure internationale, ce qui n’amène pas de ruptures dans les opérations de gestion de l’évêché. De fait, un petit groupe composé de chanoines et du vicaire prennent les décisions. La mécanique administrative s’organise autour de nombreuses administrations comme la Casa de la Caritat ou les pabordies. Elles mettent en lumière l’importance des chanoines dans le tissu local, surtout en l’absence de l’évêque. Dans le deuxième chapitre, l’auteure interroge les interactions entre pouvoir politique et cathédrale. Dans un temps de reconstruction, elles se focalisent sur le rejet commun de l’Inquisition et l’aspect protecteur des instances municipales. Les relations se tendent toutefois au sujet de la contribution des ecclésiastiques aux taxes sur la viande.

La deuxième partie porte sur « les chanoines dans la ville ». Les chanoines sont dotés d’un prestige et d’une notabilité indéniables. Ils assurent leurs fonctions liturgiques, administrent leur établissement et son temporel et supervisent la charité urbaine. Les chanoines se caractérisent par une formation juridique, des carrières régionales centrées sur la Catalogne, mais aussi des passages à Rome qui les renforcent dans leurs assises catalanes. Certains d’entre eux participent aux Cortes. D’autres se livrent à la commande artistique. Chaque chanoine vit donc au contact de la société urbaine, interagit avec le pouvoir municipal et le pouvoir détenu par un petit nombre de familles, mais ils ne sont pas une élite politique. Ensuite le chapitre suivant présente les modes d’élection des chanoines. À Barcelone, se déploie en réalité un double réseau d’appui, celui pontifical, grâce aux suppliques adressées au pape, coûteuses et nécessitant un réseau romain ou par la cooptation des chanoines eux-mêmes. L’immixtion du roi est ponctuelle et les soutiens familiaux sont rares.

Dans la troisième partie, l’étude collective se déplace vers celle de parcours plus individuels. Les chanoines appartenaient fréquemment à de prestigieuses familles très impliquées dans la cité, de la noblesse ou du patriciat, ce qui a servi au développement de carrières ou au placement de parents dans les institutions de la ville. Enfin, le dernier chapitre développe les relations quotidiennes que les chanoines entretenaient avec leurs proches attestant ainsi de liens économiques avec leurs familles. Les chanoines sont aussi des intermédiaires entre le gouvernement municipal et d’autres pouvoirs, ils sont utilisés par la ville comme des relais pour obtenir une faveur. Certains chanoines ont exercé des fonctions politiques à l’échelle de la Catalogne, comme les Corts ou la Diputació del General de Catalogne. Les chanoines font donc partie de l’élite sociopolitique de la cité à travers des liens personnels et par la possibilité de carrière.

La démonstration dense amène à conclure que le chapitre de Barcelone est une institution stratégique, bien insérée dans le tissu local et qui peut potentiellement fournir un pouvoir politique. L’ouvrage se termine par la présentation d’une trentaine de notices de chanoines. L’auteure a clairement indiqué qu’elle ne menait pas une étude prosopographique conventionnelle, mais on se serait tout de même attendu à trouver une liste des chanoines et des dignitaires.